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LA PREUVE DES HEURES SUPPLEMENTAIRES. Techniques éprouvées et nouvelles technologies

Le 04 juin 2025

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Art. L. 3171-4 du Code du Travail :

 « En cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié.

Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable ».

Voilà un article apparemment clair, dont l’issue repose quasi exclusivement sur la conviction du juge et son appréciation souveraine. La preuve suppose un doute originel et la décision judiciaire n’existe que pour y mettre fin.

La conviction du juge en particulier prud’homal s’arrête à un point donné influencé qu’il est par des biais cognitifs syndicaux, professionnels et culturels qui la polluent ou l’éclairent étant précisé que dans l'hypothèse même où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue l'importance de celles-ci[1], sans être tenu de préciser le détail de son calcul. Navigue-t-on donc à vue ?

Cette appréciation souveraine peut en effet rester tout aussi éloignée de la vérité vécue par l’employeur ou par le salarié sur une durée du travail accomplie, sans omettre l’appréciation respective de la « productivité » du « travail effectif », ou de la « charge de travail » corolaires obligés lorsqu’il s’agit de décompte des heures supplémentaires.

Comme rappelé ci-dessus, et contrairement à la règle traditionnelle qui fait peser la charge de la preuve sur le demandeur, la preuve des heures de travail effectuées n'incombe spécialement à aucune des parties. Alors de quels moyens de preuve dispose le salarié (ou l’employeur) pour convaincre le juge de la réalité des heures effectuées ?

1-     Un décompte des heures réalisées

 

a.      Décompte issu du système automatique de contrôle du temps de travail.

La mise en place d'un système de contrôle automatique du temps de travail, comme par exemple une pointeuse ou un système de badge électronique dans l’établissement ou dans le parking, peut être imposée par l'employeur sur le fondement de son pouvoir de direction, étant précisé que l’employeur peut aussi mettre en œuvre de tels systèmes de contrôles d’accès pour de simples raisons de sécurité.

Lorsque le contrôle est obligatoire et licite, tout refus de la part du salarié de respecter le système de contrôle est constitutif d'une faute pouvant faire l'objet d'une sanction disciplinaire[2].

Même si ce système constitue une preuve des plus objectives, il reste soumis au pouvoir d'appréciation des juges du fond qui forment leur conviction en fonction des preuves apportées par les parties.

Se pose alors la question de la durée de conservation des données.

Citons, par exemple, d’un côté, l’article L3243-4 du Code du travail qui exige la conservation de tous les justificatifs relatifs aux heures de travail et à la paie pour une durée de 5 ans, de l’autre, l’article D 3171-16 du même code qui précise des durées :

1. D’un an, dans le cas d'horaires individualisés, ou pendant une durée équivalente à la période de référence en cas d'aménagement du temps de travail sur une période supérieure à l'année ;

2.  D’un an, pour le nombre d'heures d'astreinte accompli chaque mois par les salariés;

3.  De trois ans, pour le nombre de jours de travail accomplis par les salariés intéressés par des conventions de forfait.

Cette dernière durée est en général préconisée eu égard à la durée de la prescription relative au salaire.

Se pose enfin la question de la fiabilité du système.

L'évolution technologique des procédés de décompte, et notamment le développement informatique et du hacking implique que les systèmes peuvent être exposés à un risque de falsification, ou tout au moins de correction des données (prise en compte partielle et/ou écrêtage des heures, paramétrages ambigus, litigieux, interventions humaines a posteriori, etc.).

L’existence d’un tel système aussi fiable soit-il n’empêchera donc pas le juge d’examiner l’ensemble des éléments qui lui sont présentés pour former sa conviction sur la réalité et le nombre des heures supplémentaires.

 

b.      Décompte réalisé par le salarié.

En général, c’est la pièce maîtresse en cas de réclamation. Il incombe en effet au salarié de présenter aux juges des éléments suffisamment précis non seulement pour étayer sa demande[3], mais également pour permettre à l’employeur d’y répondre en produisant ses propres éléments.

La jurisprudence admet toutefois que le salarié étaye suffisamment sa demande en produisant :

  • Son agenda (étayé tout de même par des témoignages concordants de ses collègues)[4], 
  • Un décompte des horaires de prise de poste et de fin de service, même si ce dernier ne précise pas le ou les temps de pause(s)[5]
  • Un tableau retraçant, sur une période de 2 ans, le nombre d'heures supplémentaires effectuées quotidiennement[6] sans autre précision,
  • Des feuilles d’enregistrement des heures de travail faisant apparaître une amplitude de 9 heures par jour, soit 45 heures par semaine, sans toutefois faire mention du début et de la fin de la journée de travail, ni préciser l’amplitude des pauses déjeuner[7],
  • La production d’un décompte des heures réalisées, calculé mois par mois sans explication, ni indication complémentaire[8].

En exagérant à peine, une feuille de papier comportant quelques chiffres et dates griffonnés au crayon et nous ne sommes pas loin d’obtenir un décompte recevable d’heures supplémentaires ...

Pour revenir à de plus sérieuses considérations, plus le décompte sera précis et cohérent (calcul hebdomadaire, heure de début, heure de fin de chaque journée, temps de pause déjeuner, récapitulatif, etc.) plus les chances d’obtenir gain de cause augmentent.

A minima, le salarié qui sollicite des heures supplémentaires devra produire un tableau clair contenant, semaine civile par semaine civile et pour chacune des journées travaillées, les heures de début et de fin de journée, temps de pause déjeuner ou autre, temps de voyage à l’étranger ou en grand déplacement, etc.

Pour le juge, le tableau/décompte idoine comporte le détail et le calcul des heures effectuées ainsi que son résultat en durée comme en salaire brut, en fonction de la majoration applicable, et ce, semaine après semaine.

Si le salarié est encore en poste il est lui loisible de noter quotidiennement ses horaires et/ou ses heures de travail ou d’utiliser un tableau Excel lui permettant de noter et de calculer sa durée quotidienne et hebdomadaire de travail. Si le salarié a quitté l’entreprise, la tâche est plus ardue (notamment si le salarié n’a plus accès à sa boite email après avoir quitté l’entreprise) car il lui appartiendra de reconstituer sur les trois dernières années le décompte de ses heures à l’aide de tous les éléments indirects à sa disposition (agenda, témoignages, notes de frais etc.).

 

2-     Exemples d’éléments de preuve indirecte du travail accompli.

 

a.      Amplitude journalière : horaires d’ouverture, courriels.

N’omettons pas d’aller au plus simple en se référant aux horaires d’ouverture ou de fermeture de l’établissement si ces derniers sont affichés ou précisés sur le site internet de l’entreprise, notamment s’il accueille du public.

Pour les courriels, il est aujourd’hui possible de solliciter ChatGPT pour qu’il nous précise comment programmer l’impression du premier et du dernier email envoyé, puis, de les classer dans un dossier dédié.

Pour exemple, dans le cadre de la messagerie Outlook, ChatGPT indique

Pour programmer Outlook afin qu’il imprime automatiquement votre premier et dernier mail de la journée, puis les enregistre dans un dossier sur votre bureau, il faut combiner plusieurs éléments :

  1. Une macro VBA dans Outlook pour identifier et imprimer les mails.
  2. Un script pour enregistrer le contenu dans un fichier (PDF ou texte).
  3. Une tâche planifiée (Windows Task Scheduler) pour exécuter le tout quotidiennement.
     

Puis ChatGPT détaille le processus étape par étape. L’historique des heures de connexion sur le réseau de l’entreprise peut également constituer une preuve, notamment en cas de télétravail.

 

b.      Attestations de collègues, de clients, de prestataires et/ou de fournisseurs.

De tels témoignages peuvent bien entendu corroborer le décompte présenté par le salarié si ceux-ci respectent les termes de l’article 202 du Code de procédure civile et/ou sont établis sur le Cerfa approprié.

Faire une liste des collègues qui sont partis de la société sur les trois dernières années avec lesquels le salarié est encore en contact peut s’avérer utile. N’étant plus sous la subordination de l’employeur, ils auront certainement moins de réticence à témoigner. Leur témoignage devra être aussi précis que possible sur les horaires ou sur l’amplitude journalière habituelle et le volume d’heures hebdomadaires.

Pour les clients et/ou fournisseurs, la question est toujours plus délicate et dépend de la situation du salarié vis-à-vis de son entreprise lorsqu’il formalise judiciairement sa réclamation, sans omettre les éventuelles conséquences sur son évolution professionnelle.

 

c.      Transports et géolocalisation.

Les notes de frais (péage, transports etc.) peuvent également servir d’éléments de preuve supplémentaires de l’amplitude journalière, voire du travail effectué le week-end. (N.B. Vérifier les dispositions sur les heures de travail du dimanche dans la convention collective applicable).

Il est également possible d’utiliser des applications comme Google Maps pour une géolocalisation quasi-continue dans la journée, puis d’extraire l’historique desdites géolocalisations comme mode de preuve de la présence du salarié sur son lieu de travail aux heures précisées dans son décompte.

 

d.      SMS, messagerie.

Pour la Cour de Cassation, SMS, messages vocaux sur messagerie ou sur répondeur constituent des preuves recevables dès lors que « leur auteur ne peut ignorer qu'ils sont enregistrés par l'appareil récepteur »[9].

 

e.      Emails d’alerte sur le charge de travail ou commentaires lors des évaluations annuelles.

Ces alertes peuvent bien évidemment peser sur la conviction du juge si l’employeur n’y a pas répondu ou n’a pas pris les mesures nécessaires permettant d’y remédier. Il est susceptible à cet égard de manquer à son obligation en matière de sécurité.

Il est indubitable qu’il ne suffit pas d’énoncer simplement une charge de travail trop importante pour emporter ladite conviction. Le salarié devra expliquer les raisons qui expliquent cette surcharge de travail (le nombre de missions, de dossiers ou tout élément objectif permettant d’étayer l’alerte ou le commentaire) et/ou demander à son supérieur hiérarchique de prioriser les missions qui lui ont été confiées faute de temps pour les réaliser toutes dans les délais impartis.

Le juge peut également prêter une attention particulière aux difficultés liées à un sous-effectif avéré ou à l’absence de remplacement de collaborateurs ayant pour conséquence une augmentation de la charge de travail qu’elle soit durable ou sur une période déterminée.

 

f.       Photos horodatées de votre bureau et/ou de votre poste de travail.

Les métadonnées des photos incluent la date et l'heure. En activant les services de localisation, elles incluront également le lieu où la photo a été prise.

Il est possible d’imprimer les métadonnées ou d’utiliser une application permettant d’horodater les photos ou plus simplement de faire des copies d’écran avec les métadonnées. Il faudra veiller d’une part, à désactiver tout filtre, IA ou amélioration d’image afin que la photo puisse être considérée comme une représentation fidèle, d’autre part au respect du droit à l’image.

___________________

Coté salarié comme coté employeur le degré de précision et l’absence d’incohérences dans le décompte restent des éléments clefs de la détermination des heures de travail réalisées. Il est bien évident que si le salarié peut utiliser l’ensemble des éléments cités ci-dessus, il en est de même pour l’employeur pour un grand nombre d’entre eux, car comme le rappelle l’article L. 3171-4 précité et la jurisprudence, la charge de la preuve reste partagée entre employeur et salarié.

 



[1] Cass. Soc. 21-09-2022 n°21-13.552
[2] Cass. Soc. 17-11-1998, n°96-44.198
[3] Cass. Soc. 25-02-2004, n°01-45441 ; Cass. Soc. 29-10-2014, n°13-20080.
[4] Cass. Soc. 8-12-2010 n°09-66.138.
[5] Cass. Soc. 27-1-2021 n°17-31.046.
[6] Cass. Soc. 12-10-2004 n°02-41.289.
[7] Cass. Soc. 5-1-2022, n°20-16.172.
[8] Cass. Soc. 24-11-2010, n°09-40.928.
[9] Cass. Soc. 23-05-2007 n°06-43.209

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